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La fièvre de l’art immersif

« Expérience immersive », « immersion totale », « œuvre à 360° »… En l’espace de quelques mois, ces concepts ont envahi le monde de l’art qui ne jure plus que par la magie futuriste du mapping vidéo, du digital design et de la réalité virtuelle pour transporter le spectateur ailleurs.

Plane et fixe, l’image possède déjà un grand pouvoir de fascination. En la mettant en mouvement, puis en l’accompagnant de sons, le cinéma lui a donné la puissance de l’illusion : jamais elle n’avait été aussi populaire. Mais les artistes et les inventeurs ont voulu l’amener encore plus loin… si bien qu’aujourd’hui, la voilà tout bonnement sortie du cadre et de l’écran ! Devenue une matière fluide capable d’emplir tout l’espace, elle enveloppe le visiteur pour le plonger dans un nouveau monde. Un monde en trois dimensions, sonore et mouvant, qu’il peut même parfois arpenter à sa guise… Faire perdre au spectateur tout contact avec son environnement réel pour le propulser dans un ailleurs : tel est désormais le mot d’ordre des musées et des artistes.

Mais ce concept d’immersion totale, parfaitement ancré dans la vague actuelle de démocratisation de l’art encouragée par la révolution numérique, n’a pas attendu les dernières innovations technologiques pour voir le jour. Dans les années 1970, le cinéaste et photographe Albert Plécy rêvait déjà d’une « image totale », qui intègre le spectateur au point que celui-ci puisse s’y promener ! Dans cette optique, ce visionnaire avait fondé un centre d’art numérique : la Cathédrale d’images. Rebaptisé Carrières de Lumière en 2012 lors de sa reprise par Culturespaces, ce dernier propose depuis 1976 des projections lumineuses d’images d’art sur les 4 000 m² de parois géantes des superbes carrières de calcaire des Baux-de-Provence.

Mêlant son et mouvement, ces spectacles utilisant aujourd’hui la technique du mapping vidéo (les images recouvrent et épousent parfaitement toutes les parois du lieu) permettent de redécouvrir Gustav Klimt, Jérôme Bosch ou Pablo Picasso en plongeant dans les détails des œuvres, et en se laissant totalement envelopper par l’univers de chaque artiste, dans une atmosphère magique. Fortes de leur succès, ces expositions-spectacles se sont exportées. Ainsi, « Imagine Picasso », qui promet une immersion totale dans l’univers du peintre à travers 200 tableaux projetés, sera bientôt présentée à la Sucrière de Lyon. Sans oublier le nouveau lieu parisien qui leur est consacré depuis avril 2018 : l’Atelier des Lumières, installé dans une ancienne fonderie du XIXe siècle.

Grâce à ces technologies immersives, tout devient possible. Pour le spectateur, l’art est plus que jamais un moyen de s’évader du quotidien et d’éprouver des sensations. D’abord parce que la présence du son et des images est si grande et enveloppante qu’elle en impose au visiteur ; ensuite parce qu’elle le déstabilise, le poussant à interroger la frontière entre réel et virtuel.

Et c’est précisément ce lieu, « premier centre d’art numérique de la capitale » – où, n’en déplaise aux puristes, l’exposition consacrée à Gustav Klimt a attiré 1,2 millions de visiteurs en quelques mois – qui est sur le point d’accueillir l’Immersive Art Festival, dont la première édition se tiendra du 18 au 24 octobre. Le principe ? Au cours de six soirées, les œuvres numériques immersives de 11 collectifs artistiques, d’une durée de quatre minutes chacune, seront projetées de 19 h à 23 h, sur 3 000 m² de surfaces, grâce à 140 vidéoprojecteurs et 50 enceintes. Ces créations – qui combineront digital design, un procédé de « sculpture numérique » en trois dimensions, et un contenu sonore composé par les artistes eux-mêmes – seront notées par un jury de professionnels [parmi lesquels Fabrice Bousteau, directeur des rédactions de Beaux Arts], mais aussi par les visiteurs via une application. Parmi elles, « Ombres douces » de Spectre Lab proposera un voyage partant des profondeurs de la terre vers la voûte céleste. D’autres exploreront les mystères de l’espace ou des villes utopiques…

Alors que dire de l’art en réalité virtuelle (VR), application plus récente et encore plus radicale de ce concept d’immersion totale ? En germe depuis les années 1990, le phénomène a explosé depuis 2014. Au détour d’une exposition, il est désormais courant de tomber sur un casque posé au centre d’un espace vide, attendant qu’un visiteur se risque à l’enfiler… pour être immédiatement transporté, grâce à un écran 3D et des capteurs de mouvement, dans un autre monde si convaincant que le corps en perd ses repères ! Preuve que l’art immersif est en train d’acquérir ses lettres de noblesse, le Palais de Tokyo ouvrira en janvier 2020 son « Palais virtuel », lieu permanent dédié à l’art VR : une première dans un musée français, et une nouvelle étape après la création du VR Arles Festival en 2016 !

Cette vague de l’immersion ne touche pas seulement les œuvres d’art et les spectacles, mais aussi les parcours didactiques des musées désireux d’enrichir leur offre et d’attirer de nouveaux publics. Désormais, le mapping vidéo se faufile même dans les expositions classiques pour les compléter. Comme celle que le Petit Palais consacrera dès le 14 novembre à Luca Giordano (1634–1705), où des fresques du peintre napolitain, numérisées en GigaPixel, seront projetées sur les murs et plafonds d’une salle entière afin d’en faire ressentir la grandeur. Dans d’autres lieux, le mapping devient même la base de parcours permanents, comme « Vision impressionniste » inauguré en 2018 au château d’Auvers-sur-Oise.

Même épidémie du côté de la VR. À la Cité de l’architecture et du patrimoine, la réalité virtuelle est utilisée pour pénétrer dans un lieu inaccessible, la pyramide de Khéops. Au Château de Versailles, elle permet, grâce à une visite virtuelle créée par Google, champion en la matière, d’arpenter des salles fermées au public, ou encore de s’y promener à la lueur des chandelles. Début 2019 au musée de l’Orangerie, elle proposait de plonger dans les mythiques Nymphéas de Monet. Produite par Lucid realities, l’expérience VR Claude Monet, l’obsession des Nymphéas était présenté à deux pas des vraies peintures. Et c’est à présent au tour du musée du Louvre de se lancer ! Au sein de sa rétrospective consacrée à Léonard de Vinci, le musée dévoilera sa première expérience VR : « Mona Lisa : Beyond the Glass » (en partenariat avec HTC Vive Arts), qui donnera au public l’occasion d’explorer la Joconde dans les moindres détails… elle qui reste d’ordinaire si lointaine derrière sa vitre de protection et sa foule d’admirateurs. Enfin, pour ceux qui regretteraient que l’exposition du Louvre ne rassemble pas tous les chefs-d’œuvre du génie italien, l’Universal Museum of Art diffusera sur sa plateforme une exposition virtuelle (immersive à condition de posséder un casque VR) rassemblant la totalité des œuvres de l’artiste, le tout dans un bâtiment inspiré de ses dessins. Un rêve devenu (pas encore tout à fait) réalité !

Source : Beaux art Magazine Joséphine Bindé