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LE MONDE | Le monde audiovisuel à l’heure de la réalité virtuelle

Les chaînes de télévision, en quête d’une audience plus jeune, s’intéressent de plus en plus à cette nouvelle technologie (Réalité virtuelle).

« Cela fait maintenant trois ans que l’on accélère le développement autour de la VR. Il est essentiel, dans un marché de contenus comme le MIPTV, de réunir l’ensemble des acteurs qui travaillent à la recherche de nouvelles narrations. »

Laurine Garaude, directrice

Aucun événement consacré à la télévision n’échappe à un espace « nouvelles technologies ». Parmi elles, la réalité virtuelle occupe désormais une bonne place. Elle apparaît même comme l’une des vedettes du Marché international des programmes de télévision (MIPTV), qui se tiendra à Cannes du 9 au 12 avril. Sa directrice, Laurine Garaude, explique : « Cela fait maintenant trois ans que l’on accélère le développement autour de la VR [initiales de l’anglais virtual reality, réalité virtuelle]. Il est essentiel, dans un marché de contenus comme le MIPTV, de réunir l’ensemble des acteurs qui travaillent à la recherche de nouvelles narrations. »

Cette technologie immersive, capable d’offrir à l’utilisateur une plongée dans un univers à 360 degrés – essentiellement grâce à un casque – fait réfléchir les diffuseurs de contenus, qui observent l’essor des nouveaux modes de consommation de l’image. « Les téléspectateurs, surtout les jeunes adultes, sont de plus en plus nombreux à consommer des contenus vidéo hors de l’écran de la télévision et à délaisser les programmes qui y sont diffusés, constate Pierre Block de Friberg, chargé du pôle Nouvelles écritures de France Télévisions. Il y a une grande appétence pour les nouvelles technologies. »

Bien loin des créneaux horaires imposés par les grilles de programme, les chaînes pourraient chercher à (re)conquérir une audience plus large, et surtout plus jeune. La réflexion est engagée chez Arte : « L’idée pour nous est d’aller à la rencontre d’un public qui ne regarde pas particulièrement Arte à la télévision, mais qui s’intéresse à des narrations et des points de vue originaux », indique Gilles Freissinier, directeur du développement numérique d’Arte France.

Son homologue Pierre Block de Friberg reconnaît quant à lui que « la réalité virtuelle accompagne ces changements d’usages. Elle permet de repenser la narration audiovisuelle, avec des histoires qui se vivent en totale immersion sans jamais sortir du cadre de l’image ».

Développement de produits d’appel

Selon les dernières prévisions de l’entreprise américaine Gartner, qui publie chaque année sa fameuse courbe d’adoption des technologies émergentes, appelée « cycle du hype », la réalité virtuelle devrait se démocratiser d’ici deux à cinq ans. Mais les chaînes, elles, n’ont pas attendu pour surfer sur la tendance.

L’engouement se vérifie d’abord à travers le développement de produits d’appel autour de programmes phares. TF1 l’a entrepris avec son application MYTF1 VR qui, en février 2017, a permis aux téléspectateurs de suivre l’intégralité des auditions à l’aveugle de la sixième édition de « The Voice ». Fort de son succès, le groupe souhaite aujourd’hui réitérer l’expérience avec la Coupe du monde de football en juin. « Grâce à des éléments virtuels, on proposera au spectateur une immersion en loge, et de cette loge, il sera possible de regarder les matchs sous différents angles de vue », se félicite déjà Guillaume Esmiol, responsable Open Innovation et New Business pour le groupe TF1.

D’autres diffuseurs et réalisateurs profitent des multiples possibilités de narration qu’offre la réalité virtuelle. Dans The Enemy, Karim Ben Khelifa, photographe et reporter de guerre, réinvente le traitement documentaire des zones de conflit. Muni d’un casque, ou en réalité augmentée avec son smartphone, le spectateur se retrouve entre deux belligérants ennemis. A lui de décider vers quel combattant se tourner afin d’entendre son témoignage. « En temps normal, s’informer est passif. On regarde la télé, on écoute la radio, on lit des journaux. Ici on est constamment dans l’interaction », explique Karim Ben Khelifa.

Complémentarité avec des narrations plus linéaires

Olivier Lemaître, réalisateur féru d’archéologie, a choisi lui aussi la réalité virtuelle pour faire découvrir les temples égyptiens au public. « C’est évidemment un peu plus intéressant, à la fois pour le public et pour nous », confie-t-il. Avant d’avouer, à demi-mot, se servir également de cette technologie pour retenir l’attention des diffuseurs sur ses productions. « Certains projets sont plus intéressants avec la VR, d’autres ne nécessitent pas d’interactivité particulière, rappelle tout de même Gilles Freissinier. La VR ne remplacera pas la télévision. Elle permet seulement une complémentarité avec des narrations plus linéaires. »

Cette complémentarité intéresse l’Institut national de l’audiovisuel (INA), par ailleurs très engagé en faveur du développement de la réalité virtuelle. Elle organise plusieurs concours comme le « Challenge VR », censés redonner un second souffle à ses archives. « On ne regarde plus l’histoire ou l’œuvre, on est dans l’histoire », observe Agnès Chauveau, directrice déléguée à la diffusion et à l’innovation à l’INA.

« Avant, le spectateur s’identifiait aux mouvements de la caméra, avec la VR il est la caméra. C’est son regard qui fait la réalité », note François Jost, spécialiste des médias et directeur de la revue Télévision, pour qui cette nouvelle technologie relève d’une certaine logique. « C’est très adapté à notre société égocentrée ou la mise en avant du moi est de plus en plus forte. » Cette fascination pour l’immersion ne daterait pas d’hier. « L’imitation de la réalité est quelque chose qui fascine depuis l’Antiquité. Cela remonte à la fameuse histoire racontée par Pline l’Ancien du peintre Zeuxis, qui avait peint une coupe de fruits tellement réaliste qu’un oiseau serait venu picorer le tableau, entraînant l’admiration des spectateurs. »

La réalité virtuelle n’est cependant pas l’apanage des chaînes. « Ce n’est pas nous qui avons la main sur le futur de cette technologie. Nous sommes seulement un des acteurs qui peut contribuer à sa démocratisation », préfère tempérer Guillaume Esmiol. « La VR est le nerf de la guerre à venir pour les jeux vidéo », prédit de son côté Pierre Block de Friberg.